VIKTOR FRANKL – « Man’s Search for Meaning »

EDITION 3

UN SENS AU BONHEUR

En ces temps particuliers, nombre d’entre nous ont vu leurs habitudes être bousculées par les mesures exceptionnelles qui s’imposent à tous, pour tous. Si chacun tente de s’adapter du mieux qu’il peut à la situation, certains le vivent moins bien que d’autres, au point où bien-être et bonheur deviennent des mots qui peuvent perdre leur saveur. 

Dès lors, une question s’impose à moi : jusqu’où bien-être et bonheur sont-ils déterminés par des conditions extérieures (par exemple pandémie et confinement) ? Coincés entre un déterminisme biologique ou social, il peut être intéressant pour les étudiants que nous sommes d’examiner la question pour tenter de retrouver un semblant de liberté et de motivation dans ces conditions compliquées.

La vie et l’œuvre de Viktor E. Frankl (1905-1997) donne une excellente réponse à cette question. Ici, je me sers de son livre « Man’s Search for Meaning » pour illustrer son propos en quelques grandes idées.

Psychiatre et neurologue, il est déporté à Auschwitz avec sa famille lorsque les Nazis s’emparent de l’Autriche en 1943. Il sortira après 3ans de famine, de travail forcé et de violence. Il va développer la logothérapie et sa théorie du « sens de la vie » à partir de son expérience des conditions de vie inhumaines des camps de concentration.

Dans l’approche thérapeutique de Frankl, l’humain est animé d’une motivation primaire qui l’oriente vers le sens de sa vie. Il s’écarte ainsi de l’étiologie sexuelle des névroses et du concept de libido. L’homme n’est plus le jouet de ses pulsions, il peut choisir librement son attitude face à ses conditions extérieures et intérieures. Il substitue de ce fait l’inconscient sexuel de Freud par un inconscient d’essence spirituelle.

1. « On peut tout enlever à un homme excepté une chose, la dernière des libertés humaines : celle de décider de sa conduite, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il se trouve »

Peu importe la qualité de nos conditions de vie, Frankl affirme que l’on choisit toujours notre attitude face aux défis que nous pose l’existence. Le pouvoir de contrôler et modifier son comportement face à une situation appartient toujours à l’individu. La liberté et la croissance se trouvent dans cet espace « entre stimulus et réponse ». Même lorsque la situation est désespérée, l’humain peut choisir de « porter sa croix » avec dignité. Il s’agit d’un devoir de responsabilité (responsability en anglais). Autrement dit, il s’agit de renouer contact avec sa « capacité de répondre à » (response-ability).

2. « La santé mentale est fondée sur un certain degré de tension entre ce que nous avons déjà réalisé et ce qui nous reste à réaliser, ou sur la différence entre ce qu’on est et ce qu’on devrait être ».     

Pour vivre pleinement, l’existence doit être tournée vers l’avenir afin de saisir les opportunités qui se présentent dans le présent. Lorsque cet écart entre le moi optimal et actuel se creuse, une frustration existentielle s’installe et l’absence de sens peut alors nuire à la motivation. L’existence ne cesse de fournir des opportunités de donner du sens à ce que l’on fait si l’on refuse de se morfondre dans des pensées rétrospectives : à nous de transformer notre regard !

3. « Celui qui a un pourquoi qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’importe quel comment. » – Nietzsche.

On pourrait croire que les prisonniers qui s’en sortaient le mieux étaient de meilleure constitution, qu’ils étaient plus résistants, mais Frankl remarqua un fait surprenant : les prisonniers dépourvus d’espoir tombaient en premier. Alors qu’une épidémie de typhus avait frappé son camp, un camarade lui raconta qu’il avait fait un rêve dans lequel la date de libération lui avait été révélée. Alors que la date se rapprochait sans nouvelles rassurantes du front, il devint fiévreux et commença à délirer. Il succomba au typhus à la date que son rêve lui avait indiqué. L’immunité du corps du camarade de Frankl avait cessé de combattre la maladie qu’il portait en lui dès lors que son espoir était anéanti. Notre santé physique repose en amont sur notre santé mentale. 

4. « Au lieu de se demander si la vie avait un sens, il fallait s’imaginer que c’était à nous de donner un sens à la vie à chaque jour et à chaque heure. Nous devions le réaliser non par des mots et des méditations, mais par de bonnes actions, une bonne conduite. Notre responsabilité dans la vie consiste à trouver les bonnes réponses aux problèmes qu’elle nous pose et à nous acquitter honnêtement des tâches qu’elle nous assigne. »

Il en résulte que la « poursuite du bonheur » dans l’attente d’une plénitude est une illusion. On ne peut faire le choix conscient du bonheur, voilà pourquoi il est futile d’en faire un but. On a besoin d’une raison au bonheur, au même titre qu’un rire nécessite une blague. Une fois cette raison trouvée, le bonheur devient automatique. Frankl estime qu’il existe trois manières d’acquérir du sens, à savoir : dans le dévouement à une tâche (Travail), dans l’affection pour quelqu’un ou quelque chose (Amour) et dans le courage face à l’adversité et la souffrance.

Ainsi, même si notre nouveau quotidien nous entrave, il est toujours possible d’en faire quelque chose de sensé et d’enrichissant. Il s’agit là encore d’une opportunité pour certains, et d’une épreuve pour d’autres. Tant qu’il reste de l’espoir dans le regard, un sens est possible, même dans l’absurde.

F. Sascha