LE CINÉMA ET LA PSYCHOSE : UNE HISTOIRE DE GÉNIE ET MEURTRIER

EDITION 4

Fight Club, Psychose, American Psycho, A Beautiful Mind, Vol au-dessus d’un nid de coucou, The Soloist, Black Swan, Me, Myself and Irene, Donnie Darko… Vous avez sans aucun doute vu quelques-uns de ces films ou du moins entendu en parler. Un point commun est qu’ils mettent en scène un personnage présentant un trouble mental, souvent appartenant à la classe des psychoses. Parfois le trouble est clairement défini (e.g. schizophrénie), et parfois on nous laisse sous-entendre le trouble. Il existe encore des centaines d’autres films et séries qui tournent autour d’un personnage souffrant d’une psychose. En toute logique, on pourrait se dire que les films présentant des héros avec un trouble mental ont du succès auprès du public. Une question que l’on pourrait se poser dès lors, outre le fait que l’on pourrait se demander la raison de ce succès, est quel est l’impact de ces films et séries sur l’image des psychotiques auprès du grand public ? 

Il y a très peu de recherches qui se sont penchées sur l’étude de l’impact que pouvaient avoir les représentations des psychotiques dans le monde cinématographique sur l’image que la société a des personnes souffrant de psychose. Je vais donc me baser en grande partie sur le mémoire de Yancy Aracena (2011) concernant le sujet. Il classe les films en quatre différentes catégories :

  1. Entre génie et folie (the thin line between genius and insanity) où on trouve les films comme A Beautiful Mind, The Soloist, Black Swann ;
  2. Meurtrier maniaque (homicidal maniacs) regroupe les films comme Psychose, American Psycho, Fight Club ;
  3. Réaliste mais dérangeant (realistic but disturbing) où Aracena cite le film Clean, Shaven. On pourrait rajouter le film Spider de Cronenberg ; 
  4. Sympathique mais non-réaliste (sympathetic but unrealistic) où on peut trouver The Voices avec Ryan Reynolds ;

Il me semble que ce sont les deux premières catégories qui ont le plus de succès auprès du grand public. La première catégorie porte un stéréotype plutôt positif qui est l’individu ayant des talents extraordinaires souffre en même temps d’un trouble psychologique. Même si on pourrait le considérer comme positif, on pourrait faire la réflexion que tous les génies ou possédant un talent incroyable sont à même de développer une psychose. On pourrait même dire que leur pathologie psychologique leur donne ce génie et donc qu’ils accèdent à ce qu’une personne lambda ne peut voir. Est-ce que ces individus ne seraient pas tout autant géniaux, ne seraient pas tout autant talentueux sans le trouble ? Voire, ils seraient sûrement plus talentueux s’ils ne devaient pas lutter contre cette maladie. Et donc j’aime à emprunter les paroles d’un psychiatre français en disant que « les personnes qui brillent d’une sensibilité particulière ne brillent pas grâce à un trouble psychotique mais en dépit de ce trouble » (Geoffrey Marcaggi, Le PsyLab, 2015). La seconde catégorie, quant à elle, renvoie au stéréotype que les individus souffrant d’un trouble psychotique sont des individus dangereux, meurtriers sanguinaires et imprévisibles. En d’autres termes, ces individus sont peints comme des personnes sans limites et qui peuvent commettre le pire des délits sans moral, ni foi. Il n’est un secret pour personne, surtout pas pour l’industrie du divertissement, que la violence attire du monde. Psychose, American Psycho, Fight Club… ont su se frayer un chemin et prendre une place importante de film iconique dans la pop culture. On peut d’ailleurs voir ces dernières années des films et des séries présentant des scènes de plus en plus explicites de violences (e.g. The Boys). 

Par ailleurs, je ne vous apprends rien en disant que ces films exagèrent fortement le caractère violent des individus psychotiques. Certes, les individus souffrant de psychose sont plus à même de se retrouver dans des situations dangereuses, mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont violents. Différentes études (Stuart, 2003 ; Rueve & Welton, 20008) mettent en évidence le lien qu’il y a avec l’environnement social, les conditions socio-économiques, l’âge et le traitement avec le comportement violent plutôt que la maladie comme seule cause des violences. Fazel, Langstrom, Hjern, Grann & Lichtenstein (2009) montrent que les personnes souffrant de schizophrénie et sujettes à la consommation de substances sont plus à même de présenter un comportement violent que les personnes souffrant de schizophrénie mais ne consommant pas de substances. 

Ainsi cette présentation des personnes souffrant de trouble psychotique comme des êtres violents ne correspond pas vraiment à la réalité. Ça contribue fortement à la stigmatisation de ces individus et donc à l’isolement, qui fait qu’ils n’ont pas les soins adéquats, qui fait qu’ils vont plutôt se tourner vers une automédication et donc utiliser des psychotropes qui vont empirer leur état. Ils rentrent donc dans un cercle vicieux où il est souvent difficile de s’en sortir.

À noter aussi qu’il y a un flou dans les films et les séries de ce que peut être réellement une psychose, généralement la schizophrénie, et ce que n’est pas une psychose, généralement trouble de la personnalité. Dans Bates Motel, on peut voir le jeune Norman Bates halluciner la présence de sa mère, qui demande de tuer untel, et tantôt on peut le voir dans l’accoutrement de sa mère, et jouant le rôle de sa mère. De même pour Fight Club, le narrateur hallucine la présence de Tyler Durden tout le début du film. On finit par apprendre qu’il est Tyler Durden et que c’est finalement un trouble de la personnalité. On pourrait donc être tenté de mettre l’étiquette psychose sur tout et n’importe quoi, et de désigner « schizophrénie » ce qui n’est pas schizophrénie par exemple. 

En conclusion, les médias du divertissement peuvent fortement romancer et exagérer certaines réalités de l’individu souffrant d’une psychose. Ceci n’est pas sans conséquence pour eux puisque ça véhicule une image stigmatisante des individus souffrant de la psychose. Une solution proposée par Aracena est la production de documentaires qui se révèlent très utiles pour modifier la vision du public. Une deuxième solution est de promouvoir les films et séries qui donnent une image plus positive des personnes psychotiques.

G. Fatih

Bibliographie

Aracena Y. (2012). Psychosis in Films : An Analysis of Stigma and the Portrayal in Feature Films (thesis). CUNY Academis Works. https://academicworks.cuny.edu/cc_etds_theses/134

Fazel S, Långström N, Hjern A, Grann M, Lichtenstein P. (2009). Schizophrenia, substance abuse, and violent crime. JAMA, 301(19):2016-23. doi: 10.1001/jama.2009.675. PMID: 19454640; PMCID: PMC4905518 

Le PsyLab (2015). Personne n’est schizophrène ! PSYCHOPTIK #4. https://www.youtube.com/watch?v=qzXMnAVDmGk

Stuart H. (2003). Violence and mental illness: an overview. World psychiatry : official journal of the World Psychiatric Association (WPA)2(2), 121–124. PMID: 16946914 Rueve, M. E., & Welton, R. S. (2008). Violence and mental illness. Psychiatry (Edgmont (Pa. : Township))5(5), 34–48. PMCID: PMC2686644; PMID: 19727251