Avez-vous entendu parler des styles d’apprentissage ? Cela fait référence à l’idée selon laquelle on pourrait distinguer les individus selon certaines modalités d’enseignement, dont certaines qui seraient plus efficaces pour leur apprentissage. C’est également une perception de l’apprentissage influençant la pratique éducative actuelle et ce à plusieurs niveaux de l’enseignement, avec toute une industrie derrière (Pasher et al., 2008).

En effet, on retrouve actuellement différents sites faisant appel à ce concept notamment à des fins commerciales, entre autres. Par exemple, certains sites ciblent les enseignant.e.s et affirment l’importance de connaître le style d’apprentissage des élèves pour mettre en place les meilleurs dispositifs d’enseignement (Teach.com, s. d.) tandis que d’autres ciblent les parents et affirment que les styles d’apprentissage optimisent la scolarisation à domicile (Time4Learning, s. d.). Ce concept a une telle influence que même le service national de l’emploi du Canada propose un questionnaire pour déterminer son style d’apprentissage dans le cadre des planifications de carrière (Guichet-Emplois, 2020).
Il existe différents modèles des styles d’apprentissage contenant un nombre variable de styles, mais ici nous aborderons le modèle le plus commun et popularisé par Fleming et Mills en 1992 : « the visual, auditory, and kinesthetic (VAK or VARK) model » (Cuevas & Dawson, 2018) (cf. Figure 1). Dans le modèle VAK tel que décrit par Cuevas et Dawson, les lettres composant l’acronyme définissent chacune une modalité préférentielle de traitement de l’information :
- (V) Traitement préférentiel de l’information Visuelle : l’apprentissage serait favorisé par les stimuli visuels, comme les images et les graphiques.
- (A) Traitement préférentiel de l’information Auditive : l’apprentissage serait favorisé par les stimuli auditifs, comme les débats et les discussions.
- (K) Traitement préférentiel de l’information Kinesthésique : l’apprentissage serait favorisé par les activités manuelles ou corporelles, comme la construction de maquettes ou le jeu d’acteur.
Afin de mettre ce modèle à l’épreuve, Cuevas et Dawson (2018) ont mené une étude expérimentale. Celle-ci se basait sur la vérification de deux prédictions incompatibles en une seule expérience : la prédiction du modèle VAK versus la prédiction de la théorie du double encodage, affirmant toutes les deux la présence de deux types de traitement de l’information fonctionnellement indépendants : un de type visuel et un de type verbal.
L’idée dans la théorie du double encodage est que, d’une part, les informations verbales seraient susceptibles de provoquer une surcharge cognitive qui les empêcherait d’être encodées en mémoire, et d’autre part les informations visuelles seraient traitées de manière séparée sans produire de surcharge cognitive, permettant ainsi de stocker en mémoire à long terme deux représentations (une visuelle et une auditive) d’un même stimulus. De cette manière, le double encodage produirait un meilleur maintien de l’information en mémoire. (Hodes, 1998 ; Sharps & Price, 1992, cités dans Cuevas & Dawson, 2018).
Selon Cuevas et Dawson cela implique deux prédictions contradictoires et incompatibles : le double encodage favoriserait l’appariement des informations verbales (auditives) avec des informations visuelles pour tout.e.s les apprenant.e.s, tandis que le modèle VAK prédit une amélioration des performances uniquement lorsqu’on apparie de l’information visuelle avec des apprenant.e.s visuels d’une part, et l’information verbale (auditive) avec des apprenant.e.s auditifs d’autre part.
Ces chercheurs ont donc identifié les styles d’apprentissage de 204 étudiant.e.s universitaires grâce au « VARK learning styles questionnaire »[1] (Fleming & Mills, 1992, cité dans Cuevas & Dawson, 2018) afin de répondre à deux questions de recherche :
- Est-ce que les étudiant.e.s dont les méthodes d’enseignement sont adaptées à leur style d’apprentissage auront de meilleures performances que les étudiant.e.s dont la méthode d’enseignement n’est pas adaptée de la même manière ?
- Indépendamment du style d’apprentissage des étudiant.e.s : est-ce que les étudiant.e.s dans la condition d’apprentissage avec méthode visuelle auront de meilleures performances que ceux ou celles dans la condition avec méthode auditive, dû à l’effet additif des informations visuelles qui ne produisent pas de surcharge cognitive tel que prédit par l’effet de double encodage ? [2]
Ensuite, les étudiant.e.s ont participé à une tâche de mémoire implicite (mémorisation de 20 items, il ne leur a pas été demandé explicitement de mémoriser les items) avec des consignes différentes selon la condition qui leur a été attribuée aléatoirement. Ces conditions expérimentales étaient la condition auditive, où on leur a présenté des phrases prononcées à voix haute, et la condition visuelle, où les phrases ont été présentées à voix haute mais en plus on leur a demandé d’imaginer mentalement les scénarios que représentaient ces phrases.
Concernant la première question de recherche, les résultats de l’expérience n’ont pas révélé un effet significatif du style d’apprentissage sur le maintien des informations en mémoire, et aucun des 4 styles d’apprentissage n’a pu prédire les performances des étudiant.e.s.
Leurs résultats ont en plus démontré une meilleure performance dans la tâche de mémoire chez les étudiant.e.s dans la condition visuelle, et ce indépendamment de leur style d’apprentissage (visuel ou auditif, cf. Figure 2), répondant ainsi à la deuxième question de recherche : les informations visuelles apportent bien un effet additif en maintien des informations, en concordance avec l’effet de double encodage et en discordance avec l’hypothèse des styles d’apprentissage.

Pour conclure, ce design expérimental contribue à la littérature scientifique soutenant l’effet de double encodage, et contribue également à la vaste littérature qui ne parvient pas à confirmer la validité de l’hypothèse des styles d’apprentissage. Établir une méthode d’enseignement basée sur les styles d’apprentissage serait donc inefficace, et il serait plus avantageux de se servir de l’effet de double encodage pour optimiser l’enseignement (Cuevas & Dawson, 2018).
Mais si le concept de styles d’apprentissage n’est pas basé sur la recherche scientifique, pourquoi est-il si populaire ? Pasher et al. (2008) citent deux raisons possibles : l’attribution de l’échec scolaire au système éducatif (qui n’aurait pas adapté l’enseignement au style d’apprentissage en question) plutôt qu’à l’élève. Une autre raison pourrait être que le fait de s’attribuer une catégorie, de savoir « quel genre de personne nous sommes » serait quelque chose de séduisant.
Qu’en pensez-vous ? Vous aussi vous dites que vous apprenez de manière « très visuelle/auditive » ? Est-ce que ces hypothèses sur le style d’apprentissage ont influencé votre éducation durant votre parcours scolaire ? Pourquoi pensez-vous que cette hypothèse est si populaire ?
T. Diego
Bibliographie
Cuevas, J., & Dawson, B. L. (2018). A test of two alternative cognitive processing models: Learning styles and dual coding. Theory and Research in Education, 16(1), 40-64. https://doi.org/10.1177/1477878517731450
Guichet-Emplois. (2020, 2 octobre). Cernez votre style d’apprentissage. https://www.guichetemplois.gc.ca/seeheardo
Pashler, H., McDaniel, M., Rohrer, D., & Bjork, R. (2008). Learning Styles. Psychological Science in the Public Interest, 9(3), 105-119. https://doi.org/10.1111/j.1539-6053.2009.01038.x
Teach.com. (s. d.). Learning Styles. Consulté 7 novembre 2020, à l’adresse https://teach.com/what/teachers-know/learning-styles/
Time4Learning. (s. d.). Different Learning Styles. Consulté 7 novembre 2020, à l’adresse https://www.time4learning.com/learning-styles/
[1] Traduction de l’auteur : « questionnaire des styles d’apprentissage VARK »
[2] L’hypothèse des chercheurs qui sous-tend cette question est la suivante : les étudiant.e.s dans la condition visuelle auront de meilleures performances indépendamment de leur style d’apprentissage car ils/elles bénéficient d’un traitement verbal ET visuel (addition des deux représentations en mémoire) pour un même stimulus (exemple : lire sur une feuille mot « paragraphe », cela sera traité visuellement et verbalement), contrairement aux étudiant.e.s dans la condition auditive qui ne reçoivent que de l’information verbale (exemple : entendre quelqu’un prononcer le mot « paragraphe »).